JACQUES 1/2

 

Bibliothèque – « Cette bibliothèque, c’est mon quota de livres. » explique Jacques Gamblin devant les rayonnages, taillés sur mesure par un menuisier, et qui s’étalent dans le couloir de l’entrée. « Je me plonge rarement dedans et j’ai un principe : dès que les livres s’accumulent et dépassent ce cadre précis, je remplis des cartons que j’apporte à la bibliothèque. » Il faut se méfier des livres, ne pas se laisser envahir. « J’ai un rapport étrange aux livres, une sorte d’attirance-répulsion. Ou plutôt une attirance-distance. Une méfiance, oui. Un complexe d’inculture. » conclut-il. Jacques a déjà réfléchi à ce rapport complexe – qu’il compare à celui qu’on peut avoir avec les animaux : « On peut les aimer mais les garder à distance ! ». Il a écrit un petit texte à ce sujet : Enfant de l’écriture. Il évoque dans ces lignes la présence des livres dans sa maison d’enfance, son rapport à la littérature, de sa sœur qui lisait des livres trop gros pour lui :

« Ma sœur lisait énormément et j’étais jaloux de toute cette littérature qui me privait d’elle et de notre connivence. Nous avons attrapé la rougeole ensemble et je lui en voudrais toujours d’être restée dans sa chambre alors que nous l’avions, ensemble. On ne craignait pas de se la refiler, nous l’avions ensemble. Ces arguments n’ont pas suffi à convaincre ma sœur qui avait, sans doute, besoin de concentration pour lire. Elle lisait des livres absents pour moi car trop épais. Comment pouvait-elle lire autant d’épaisseur ? Comment n’était-elle pas effrayée par cette épaisseur ? Comment imaginait-elle à chaque fois aller au bout d’une telle épaisseur et comment pouvait-elle rester si immobile pendant toutes ces heures ? Comment ? Tandis que j’allais dépenser mon souffle dehors. Et puis un jour elle dit : j’ai fini. Mais où a-t-elle trouvé ce temps qui me manque tant ? Et ce profond silence quand tout s’agite autour de moi ? »

 

 

Lectures – Tout est dit dans son texte. Jacques en poursuit la lecture. L’année de son bac de français, il découvre Antigone. « C’est Anouilh qui m’a ouvert la porte. Antigone c’était moi ! Il n’y avait pas à chercher plus loin. Ses conflits avec son géniteur c’était moi ! L’amour absolu c’était moi ! Sa rébellion, sa révolte c’était moi ! Ce caractère indivisible et ce goût pour la mort c’était moi ! J’étais Antigon son frère jumeau et je ne remercierai jamais assez Maurice Anouilh de m’avoir choisi pour la défendre devant ces bourreaux du bourrage de crâne. Merci Maurice ! » Jacques sourit : « “Maurice” pour Anouilh, c’était une blague. Vous aviez compris, peut-être ? »

Depuis sa découverte d’Anouilh d’autres auteurs ont rejoint les étagères de sa bibliothèque. Notamment grâce à son métier. Des pièces qu’il faut jouer, des textes qu’il faut lire, des personnages qu’il faut incarner. Difficile d’extraire un livre, un auteur. Il cite quand même : Romain Gary, Charles Bukowski, Victor Hugo. Et aussi Jack London, Blaise Cendrars, Olivier Adam, Sorj Chalandon… Sans oublier les poètes Xavier Grall et Yvon Le Men. « Voilà à peu près la liste des auteurs qui ont le droit de me suivre au gré de mes déménagements ! ».

Ses dernières années, Jacques à beaucoup lu « à voix haute ». Chez lui, dans des salles de spectacles, des festivals… « La lecture pour un auteur, c’est la base, l’atelier zéro. Il faut mettre l’écriture en avant, la science des rythmes de lecture. Il faut faire ressentir les choses, trahir l’auteur pour, parfois, mieux le révéler. »

 

Écriture – Il y a aussi l’écriture. Plus qu’une simple passion ou une activité du dimanche. « L’écriture, c’est le tréfonds » dit-il. Il y a quelques mois, Jacques Gamblin reçoit le prix Théâtre de la SACD. « Recevoir cette distinction m’a bouleversé. » À la remise du Prix, il doit prononcer quelques mots. Il s’interroge alors sur ce bouleversement. Pourquoi ça le met dans un tel état ? Il interroge Bastien Lefèvre, son partenaire sur scène. « Il me répond : “Parce que tu acceptes.” C’était ça, c’était ça la bonne réponse, la profonde réponse. J’accepte, grâce à ce prix…. Parce que je traîne, depuis que je suis entré en culture, une saloperie de complexe envers les livres, la littérature, le répertoire, les libraires, les bibliothèques. […] Ce prix c’est un peu de confiance supplémentaire, ça repousse ce complexe un peu plus loin, derrière les mains courantes. » Il conclut : « cette reconnaissance m’aide à me reconnaitre. »

 

Alors qu’on laisse Jacques à ses lectures, sa voix résonne encore en nous, un autre passage de Enfant de l’écriture : « Voilà ce n’est pas très brillant, j’ai peur des librairies, des bibliothèques et des livres que je referme avant de les ouvrir. Même si aujourd’hui je pense qu’une maison sans livre serait une maison inhabitée. La seule façon de m’approcher des mots a été de les écrire. Ils m’offrent le temps arrêté, la liberté irréductible et la joie profonde. Ils me laissent disposer d’eux à ma guise et j’admire leur tolérance eut égard à ceux que j’invente et qui ne vivent qu’une fois. Je remercie avec ferveur les mots de longue haleine et les mots éphémères. »