AUDREY

Collections et bibliothèque – Ce que l’on remarque dès que l’on arrive chez Audrey, c’est qu’elle aime collectionner et s’entourer d’objet hors normes. A travers la vaisselle Digoin rose par exemple. Mais aussi à travers les livres. Ceux des éditions du Scorpion (connues pour avoir publié les premiers romans de Vernon Sullivan alias Boris Vian) tous alignés, de face, sur une étagère. Également ces touts petits livres des années vingt contenant de la littérature classique, reliés et recouverts de tissu à motifs, que l’on trouve un peu partout dans la maison, certains sous des cloches en verre. La bibliothèque elle-même regorge de micro-collections puisque Audrey s’amuse à réunir ensemble des livres en fonction de critères choisis. Par exemple, ceux ayant le mot « mère » dans le titre, ou encore le mot « Amérique ». Ailleurs, tous les livres de Samuel Beckett sont rassemblés.

Les beaux livres, objets hors normes par excellence, prédominent. Cela s’explique par les années passées par Audrey en tant qu’éditrice de beaux livres à la Martinière, Hoëbeke et Gallimard. De ces années-là, elle a également gardé, comme une autre petite collection, des mousselines : ce sont les épreuves des Pléiades (ndlr : prestigieuse collection de chez Gallimard réunissant les œuvres des plus grands auteurs) et elle confesse préférer ces livres sous ce format inachevé. Désormais Audrey travaille comme agent d’illustrateurs et comme brodeuse. Cette dernière activité, qu’elle exerce avec un immense talent, ne se voit pas dans sa bibliothèque. « C’est parce que tous mes livres sur le textile et la broderie sont à mon atelier » nous explique-t-elle. Et puis cette bibliothèque elle la partage avec son compagnon – également dans l’édition – alors les places sont chères. « La bibliothèque, en tant que meuble, devait correspondre à un rêve longtemps réfléchi à deux, avec plus de place pour nos livres. » Mais il y a eu une formule provisoire, une formule Ikea, qui finalement est restée.

Lectures – Audrey lit toute sortes de choses, avec un net focus sur la littérature américaine. Elle a vécu aux Etats-Unis et a beaucoup voyagé là-bas. « Cela a façonné mon imaginaire et cette histoire de la construction de l’Amérique me fascine et me fait rêver » raconte-t-elle. Elle ressent dans la littérature américaine une forme de générosité de la part de grands raconteurs d’histoires. Quelque chose de l’enfance, plus ouvert sur le monde. Même s’ils ne sont pas tous nécessairement dans sa bibliothèque, Audrey dresse facilement, de tête, une liste d’incontournables : Demande à la poussière de John Fante, Un oiseau blanc dans le blizzard de Laura Kaschiche, Tendre est la nuit de F.S Fitzgerald, l’œuvre de Joan Didion, celle de James Ellroy, Ada de Nabokov (l’un de ses auteurs préféré). Dalva de Jim Harrisson, découvert récemment et lu comme à l’adolescence. Elle nous raconte : « Je le lisais en allant aux toilettes, dans la nuit jusqu’à trois heures du matin, en marchant dans la rue. » Elle réalise que bien souvent ce sont les livres eux-mêmes qui imposent leur tempo. Alors qu’elle peut lire de façon frénétique, notamment dans le métro et en marchant, ce qui est dangereux et explique qu’elle ne se mette pas au vélo dans Paris, il y a des livres qui appellent une lecture lente. Elle se souvient d’un été où elle n’a pu lire que Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estes. « Le roman avait décidé de mon rythme de lecture. »

Tous ces livres que nous évoquons sont de vrais compagnons de route pour Audrey qui trouve rassurant de les avoir autour d’elle dans cette pièce. « Et j’aime aussi beaucoup la grande part de subjectivité qu’ils contiennent ». Cette subjectivité elle l’a expérimenté avec une nouvelle de James Joyce, Les morts, sur un élan d’amour d’un homme, assez indifférent, pour sa femme.  Cette nouvelle qu’elle ne peut pas lire sans pleurer n’a jusqu’ici jamais émue personne de son entourage. Loin de la faire enrager, ce phénomène l’amuse beaucoup.

Beaux livres – Le goût d’Audrey pour l’Amérique et les polars se ressent aussi dans les choix qu’elle fait parmi les dizaines de beaux-livres de sa bibliothèque. On feuillette ensemble Least wanted de Mark Michaelson, une collection de photos d’identité judiciaire (mug shot en anglais) prises aux Etats-Unis entre 1870 et 1960. Les visages de ces gens – des voyous, des gangsters, des meurtriers, des innocents, des prostituées, des enfants et bien plus encore – racontent une multitude de trajectoires. Pour Audrey, c’est vraiment l’Amérique. « Quand je regarde ce livre j’ai l’impression d’être au cinéma. » The Brown sisters est aussi un livre de photos qui raconte une histoire familiale : Nicholas Nixon, grand photographe américain, a suivi sa femme et ses trois sœurs pendant 40 ans. Toujours dans le même ordre, les yeux dans les yeux de l’objectif. Sans qu’il ne soit besoin d’aucun texte, on voit les changements dans la vie de ces femmes et c’est fascinant.

En chinant, Audrey a repéré une ancienne collection des éditions Ramsay. Ce sont de beaux livres qui retracent une véritable enquête sur un fait divers avec des articles de journaux, des documents scannés, des facs-similés. A la fin du livre, le lecteur doit se prononcer sur le coupable et la réponse se trouve dans une enveloppe cachetée. Audrey a le talent de ceux qui savent trouver les objets rares et singuliers, porteurs d’histoire.

Quelques adresses :

  • Shakespeare and Company, 37 rue de la Bûcherie, 75005 Paris : haut lieu pour la littérature américaine
  • Obidos, un village au Portugal qui accueille plusieurs librairies dans des lieux peu communs.