CHARLOTTE

La bibliothèque, objet transitionnel – Charlotte est installée dans un ancien atelier d’artiste, perdu en pleine garrigue provençale et qui appartient à la maison dans laquelle elle a grandi. On rêve en imaginant une enfance dans ces lieux. De sa jeunesse, Charlotte se souvient avoir été libre, bercée par les histoires de Babar et entourée de nombreux artistes qui vivaient autour d’elle. Il y avait notamment une voisine, peintre, qui faisait des tableaux très réalistes, fascinants pour la petite fille qu’elle était, et chez qui elle aimait aller. C’est auprès d’elle pour la première fois, que Charlotte a su qu’elle savait lire. Un moment d’intimité que cette voisine a immortalisé entre autres souvenirs dans un livre écrit des années plus tard au titre poétique : Le jeu de l’oie cendrée. Ce livre, Charlotte l’a en main et peut nous le montrer. Mais ce n’est pas le cas de tous les livres qui comptent pour elle. Car étant ici en transit, elle n’a que certains livres. Les autres sont dans des valises et cartons.

Si elle résume rapidement, elle a gardé près d’elle les livres aimés (mais pas tous), ceux qu’elle n’a pas lu, ceux achetés dernièrement et les livres des ami(e)s, artistes comme elle (Charlotte est comédienne). Debout sur un tabouret, elle fait avec nous un rapide état des lieux et quelques évidences ressortent : Douleur exquise et Des histoires vraies de Sophie Calle, artiste adorée et grande source d’inspiration, Par les routes de Sylvain Prudhomme. « J’ai été captivée par cette envie d’échappée » nous dit-elle. Ou encore La ville des enfants de Francesco Tonucci, dans lequel l’auteur propose une idée de ville plus habitable par les enfants, avec moins de voitures, où ils seraient plus libres et surveillés de loin, par la communauté des adultes. On sent que son enfance à elle, pleine d’univers différents et de liberté d’y puiser, n’est pas loin de cette proposition. Aussi Les tondues de Périne Faivre, amie et ancienne partenaire de théâtre. « Le livre est l’adaptation de son spectacle et c’est important que les artistes de rue et d’espace public laissent des traces de leur travail car cet art n’est pas encore assez reconnu et il faut rendre visible ces œuvres ».

Parmi les livres qui ne sont pas là et lui manquent vraiment elle cite Moon palace de Paul Auster et Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler de Luis Sepulveda. « Ma mère, grande lectrice m’avait offert ces deux livres. Lorsque j’ai lu le roman de Sepulveda longtemps après l’avoir reçu, je l’ai dévoré en une après-midi et je l’ai ensuite adapté dans un spectacle pour enfants que je joue depuis huit ans ». Ces personnages, Charlotte vit avec eux depuis des années et elle regrette que le livre ne soit pas près d’elle.

Le chant du loup – Dans la chambre, au-dessus du lit, se trouve d’autres livres. Ce sont les lectures du moment : beaucoup de livres sur le vélo puisque pour son dernier spectacle, Charlotte, arrive sur scène à vélo après deux jours sur les routes. Également plusieurs livres de Baptiste Morizot, philosophe spécialiste des animaux dont la lecture des textes aide Charlotte à avoir moins peur lorsqu’elle bivouaque seule. « Vous saviez que lorsque les loups hurlent la nuit cela peut-être simplement pour eux une façon d’engager la conversation ? »  Pour mieux nous expliquer, elle nous lit un extrait de Manières d’être vivant :

« Et il faudrait les ressources de la poésie pour démêler la tapisserie de ce que le loup dit en puissance simultanément, dans le même hurlement, devant nous, juste derrière la crête : ces invites que le chant contient et qui constitue l’équivalent animal de la signification pour nous.

Et ces invites diffèrent pour chaque témoin mais chacune est dans le chant, dans la relation entre chant et vivant : Je suis là venez, ne venez pas, trouvez-moi, fuyez, répondez-moi, je suis votre frère, l’amante, un étranger, je suis la mort, j’ai peur, je suis perdu, où êtes-vous ? Dans quelle direction dois-je courir, vers quelle crête, sur quel sommet ? C’est la nuit. Percez le brouillard d’une étoile sonore, que je la suive. Et lequel d’entre vous est à portée de voix ? Ami ? Ennemi ? Faisons meute ! Nous sommes meute. Allez ! Qui m’aime me suive ! Êtes-vous là ? Je suis l’incomplet, le vôtre, l’inconsolé. Il y a fête à faire, nous sommes sur le départ, la cérémonie est avancée, et je suis fragment. Il y a quelqu’un ? J’ai hâte. Joie ! Ô joie ! »

Livres prêtés, livres cachés – Pour éviter la disparition des livres prêtés, Charlotte a mis en place une méthode qui prend la forme d’un petit carnet, laissé à portée de main dans lequel elle note les titres des livres prêtés, les noms des emprunteurs, les dates de prêt et de retour. « La méthode est loin d’être infaillible… » constate t-elle en parcourant tour à tour le carnet et sa bibliothèque des yeux.

Il y a donc les livres qui manquent, ceux qui disparaissent mais aussi pour Charlotte les livres qui sont là, mais qu’on ne voit pas. Elle nous explique avoir certains livres, sur un sujet dont elle ne souhaite pas parler, qui sont à l’abri des regards. Une bibliothèque cachée en somme dont les livres n’appartiennent qu’à elle et qui ne sont pas fait pour être partagés. Pas parce qu’ils seraient honteux, mais parce qu’ils sont trop intimes. Comme une cachette d’enfant bien gardée dont l’existence serait compromise du simple fait d’être révélée.