MARION

La bibliothèque et son classement

Dans la maison de Marion, la bibliothèque s’étale entre trois niveaux différents. Au sous-sol, la fiction, classée par ordre alphabétique après une tentative de classement par affinités littéraires. « Certains livres me semblaient n’avoir rien à se dire, d’autres, au contraire, je les pensais heureux d’être côte à côte. Mais il était trop difficile de s’y retrouver. »

A l’étage, près de son lit, les livres qui sont le plus importants pour elle : ceux sur l’écriture. « C’est finalement ce qui m’intéresse le plus, de comprendre comment tout cela est fabriqué » réfléchit Marion. Aussi les dictionnaires bilingues russe-français et français- russe.

Entre ces deux étages, une étagère cachée derrière les manteaux, pour la poésie.

La présence prédominante de littérature russe (uniquement en langue originale) et américaine fait écho aux deux pays qui ont été au centre de sa vie : la Russie où Marion a enseigné le français, à Novossibirsk, en Sibérie pendant plusieurs années puis les Etats-Unis où elle a aussi enseigné le français, à New York au début des années 80.

Désormais depuis 13 ans à Marseille, dans le Panier, Marion donne des cours de français à des femmes russophones réfugiées. Les dictionnaires continuent à servir.

Les livres fondateurs

Deux livres de jeunesse viennent à l’esprit de Marion : La vie devant soi de Romain Gary, offert par sa mère lorsqu’elle avait 20 ans et Belle du seigneur d’Albert Cohen. Marion raconte : « Belle du seigneur était, avec une de mes amies, notre livre fétiche. Nous ne percevions pas du tout la dimension machiste du roman. On en apprenait des passages par cœur et chaque fois que nous buvions un thé, nous demandions, à l’instar d’Ariane : laine ou coton ? »

 Chez les russes, il y a Boris Pasternak et notamment sa correspondance triangulaire avec Rilke et Marina Tsvetaieva. « On lit des scènes de jalousie épistolaires, ils étaient fous l’un de l’autre sans jamais s’être rencontrés. Incroyable. » Egalement André Platonov – « réfugié dans la science-fiction pendant la période stalinienne » – et Isaac Babel, tous les deux sujets de ses mémoires de recherche.

Du côté des auteurs américains, outre Raymond Carver, Marion avoue un gros béguin pour les premiers livres de Nancy Huston. Elle a même une anecdote à son sujet : « J’avais 22 ans, Nancy Huston avait elle 26 ans à ce moment-là, elle vivait à Paris comme moi. Ne doutant de rien, je lui ai demandé de lire des poèmes que j’avais écrits. » Est-ce qu’elle les a lus ? Oui. Sa réponse : « Il va falloir beaucoup travailler ! »

Les livres du moment

Parmi les découvertes plus récentes, Marion cite tout de suite Vivian Gornick avec La femme à part.  « C’est ma dernière entichade. Une femme tellement étonnante ! C’est si rare de lire un livre et d’être surprise à chaque paragraphe. » L’art de la joie de Goliarda Sapienza vient aussi de rentrer au panthéon de Marion : « Comment ai-je pu attendre si longtemps pour lire ça ? » s’étonne-t-elle. Cela lui a même donné envie de commencer à apprendre l’italien. En fouillant les livres de son chevet elle attrape également Sisyphe est une femme de Geneviève Brisac et Croire aux fauves de Nastassja Martin.

Rapport au livre – « Je prête facilement et j’emprunte également. » Et le prêt a du bon : « Récemment j’ai prêté un recueil de René Char a une amie qui en avait besoin pour un moment difficile à traverser. La lecture qu’elle en a faite m’a permis de redécouvrir cet auteur, de réapprendre à le lire. » Dans les livres ce sont souvent les mots eux-mêmes qui intéressent Marion. Elle aime jouer avec eux, en faire des collages, les faire se rencontrer, déstructurer le langage. « Je crois que la lecture est écriture. » Ecrit-elle ? « Hier soir c’était la pleine lune et j’ai fait un vœu : écrire mon deuxième livre. »

Souvenir d’enfance – Il n’y a pas chez Marion de souvenir d’avoir tellement aimé lire enfant. Elle avance une explication : ses parents, communistes fervents, lui offraient dès son plus jeune âge les œuvres complètes de Marx, Lénine et autres penseurs. « Il est possible que ça m’ait découragée. » Mais c’est cette ferveur même qui l’a poussée à apprendre le russe dès l’âge de 11 ans. « Comprenez : c’était la langue du paradis pour mes parents, alors bien sûr je voulais communiquer avec les habitants du paradis. » A 18 ans, premier voyage en Russie. « J’étais donc capable de parler avec les russes et j’ai vite compris que ce n’était pas le paradis. » Mais le russe est resté, les dictionnaires aussi, ils l’ont suivie jusqu’ici.