LAUREN BASTIDE
- The Archivists
- 5 juin 2017
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 mai

Bibliothèque et poudre – Chez Lauren, les livres sont aux quatre coins de la maison. Mention spéciale pour la grande bibliothèque du salon. Près du lit, un petit « panthéon » personnel : « Ici, ce sont les livres qui m’inspirent. Je crois beaucoup à l’énergie des livres. En prenant un livre entre ses mains on peut savoir ce qu’il va nous apporter. » Fétichiste ? « Absolument, et depuis toujours, pour les livres en tous cas ! »
Au premier coup d’œil sur les ouvrages que Lauren a préparé pour notre rencontre, on s’étonne de n’y voir que des auteures. Explication : « Depuis deux ans je ne lis en effet que des femmes. J’ai ressenti un besoin d’être nourris de voix et d’histoires de femmes dans ma réflexion politique et personnelle. » Elle a alors opéré un grand ménage dans ses lectures. Seuls trois écrivains ont résisté à la tornade féministe : Tristan Garcia (« Tellement brillant ! »), Jean-Philippe Toussaint (« Unique en son genre ») et Henry Miller (« Mon auteur préféré. Sexus est un livre qui m’accompagne depuis des années, je ne pourrais pas m’en séparer. J’y puise un dépaysement nécessaire. »)
Cette appétence pour les voix et histoires de femmes a poussé Lauren, journaliste chez Elle puis chroniqueuse pour Le Grand Journal, à lancer son émission de podcast, La Poudre. Deux fois par mois, elle reçoit une femme exceptionnelle – artiste, intellectuelle, politique – pour une « conversation personnelle et sans tabou sur son enfance, sa carrière et son rapport à la féminité. »
Lectures – « La Poudre est née de plusieurs rencontres » raconte Lauren. L’une des plus importantes est celle avec Silvia Plath. « Je l’ai découvert par hasard, à travers son journal et j’ai été saisie par son histoire qui est une terrible histoire de sexisme, un récit de femmes où toutes les violences sont présentes. » On évoque aussi Nellie Bly, une journaliste américaine de la fin du xixe siècle, pionnière du reportage clandestin et journalisme d’investigation. « Malheureusement son travail est peu traduit en français. » D’autres femmes, d’autres récits comptent énormément : Violette Leduc avec La batarde : « une féministe arrivée trop tôt dans son époque », Toni Morrison, Chimamanda Ngozu Adichie, l’auteur de Americanah. « A lire absolument ! Cela raconte l’histoire d’une nigérienne qui découvre qu’elle est noire en arrivant dans un pays blanc. C’est aussi l’éveil d’une conscience politique. Magnifique et magistral. » Leonora Miano dont Lauren vient de lire les deux tomes de Crépuscules du tourment : « Pour moi la plus grande romancière francophone contemporaine. » Charlotte Perkins Gilman : « Le papier peint jaune sur une femme considérée comme folle et que l’on enferme, et plus on l’enferme, plus elle devient folle. Cela parle très bien de l’oppression masculine. » Et Joan Didion. « Je suis particulièrement touchée par la façon dont elle parle des femmes qui vieillissent mais aussi de son veuvage. La prise de parole des femmes sur ces sujet-là est essentielle car ce sont des sujets qui sont invisiblisés. » L’idée de La Poudre se trouve là : « Toute histoire de femmes doit être enregistrée car l’histoire les invisibilise. »
The dinner party – « Cette question de l’invisibilité des femmes je l’ai retrouvée dans une œuvre d’art exposée au Brooklyn Museum : The dinner party de Judy Chicago » explique Lauren en montrant le livre ramené de New York. Il s’agit d’une installation faite d’une table triangulaire sur laquelle chaque place comporte un set de table brodé du nom d’une femme qui a marquée l’histoire mais qui a le plus souvent été oubliée. Lauren a vécu un véritable choc stendhalien en découvrant le travail de Judy Chicago. « Avec The dinner party, elle nous révèle que la société est faite pour que les femmes ne passent pas à la postérité. A chaque fois qu’une femme accompli quelque chose, l’histoire efface sa trace. » L’approche nous fait penser à Culottées, le livre de Pénélope Bagieu sur « les femmes qui ne font que ce qu’elles veulent. » Lauren ne peut qu’approuver. Pénélope Bagieu était l’invitée de l’un de ses podcasts. Installez-vous avec Pénélope Bagieu interviewée par Lauren et écoutez parler La Poudre.
QUELQUES LIVRES À EMPRUNTER À LAUREN :
Ceci est mon sang de Elise Thiébaut, La Découverte : Avoir ses « ourses », ses « ragnagnas », ses « coquelicots » ou « l’Armée rouge dans sa culotte »… : quelle que soit la façon dont on l’appelle, ce phénomène naturel qui consiste, pour les femmes, à perdre un peu de sang tous les mois (sans en mourir !) reste un tabou dans toutes les sociétés. Pour en finir avec cette injustice, Élise Thiébaut nous propose d’explorer les dessous des règles de manière à la fois documentée, pédagogique et pleine d’humour : à partir de son histoire personnelle, elle nous fait découvrir les secrets de l’ovocyte kamikaze et de la mayonnaise, l’histoire étonnante des protections périodiques (ainsi que leurs dangers ou plaisirs), les usages étranges que les religions ont parfois fait du sang menstruel… Et bien d’autres choses encore sur ce fluide, qui, selon les dernières avancées de la science, pourrait bien être un élixir de jouvence ou d’immortalité.
Alors, l’heure est-elle venue de changer les règles ? La révolution menstruelle, en tout cas, est en marche. Et ce sera probablement la première au monde à être à la fois sanglante et pacifique.
Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, Gallimard : Ifemelu quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Jeune et inexpérimentée, elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, éternel admirateur de l’Amérique qui compte bien la rejoindre. Mais comment rester soi lorsqu’on change de continent, lorsque soudainement la couleur de votre peau prend un sens et une importance que vous ne lui aviez jamais donnés? Pendant quinze ans, Ifemelu tentera de trouver sa place aux États-Unis, un pays profondément marqué par le racisme et la discrimination. De défaites en réussites, elle trace son chemin, pour finir par revenir sur ses pas, jusque chez elle, au Nigeria.
À la fois drôle et grave, doux mélange de lumière et d’ombre, est une magnifique histoire d’amour, de soi d’abord mais également des autres, ou d’un autre. De son ton irrévérencieux, Chimamanda Ngozi Adichie fait valser le politiquement correct et les clichés sur la race ou le statut d’immigrant, et parcourt trois continents d’un pas vif et puissant.
Les gros mots. Abécédaire joyeusement moderne du féminisme de Clarence Edgard-Rosa, Hugo & Cie : Pourquoi faire un abécédaire du féminisme aujourd’hui ? Parce que les femmes d’aujourd’hui, les 15-40 ans, ne sont pas confrontées aux mêmes problématiques que celles des générations précédentes. Pour autant, les luttes féministes sont toujours aussi nécessaires et de nouvelles questions se posent ! Cet abécédaire, qui se veut résolument moderne et décalé, définit ce que veut dire être féministe aujourd’hui, entre concepts toujours d’actualité, nouveaux enjeux, apports de la pop culture, expressions populaires et vocabulaire d’initié-e-s.
Cet ouvrage est aussi bien à destination des jeunes pour qui il constituera une bonne porte d’entrée sur les questions féministes, qu’aux plus agé(e)s qui voudraient bien comprendre ce qu’est le slutshaming, le mansplanning ou encore la friendzone.
Vernon Subutex de Virginie Despentes, Grasset : QUI EST VERNON SUBUTEX ? Une légende urbaine. Un ange déchu. Un disparu qui ne cesse de ressurgir. Le détenteur d’un secret. Le dernier témoin d’un monde disparu. L’ultime visage de notre comédie inhumaine. Notre fantôme à tous. LE GRAND RETOUR DE VIRGINIE DESPENTES
La séquestrée de Charlotte Perkins Gilman, Phébus : Tombée en dépression, une jeune mère se soumet à une cure de repos d’un genre radical, imposée par son médecin de mari. Censée reprendre goût à son quotidien réglé de femme au foyer par ce qui s’apparente à une séquestration pure et simple, elle ne réagit cependant pas comme son époux l’avait prévu…
Classique des lettres américaines, dénonce l’asservissement des femmes au mariage et à la maternité, ainsi que les méthodes de soins barbares destinées à guérir la neurasthénie qui en découle. Cette fiction, la plus violemment autobiographique de Charlotte Perkins Gilman, est devenue un livre-culte.
Crédit photo pour le portrait de Lauren: Zisla Tortello. Un grand merci Zisla!